Le pigeon

J’avais rendez-vous au Centre Communal d’Action sociale des Autruches Sarcastiques. J’ai atterri dans un bureau où l’on m’a suggéré de répondre à des offres d’emploi. J’ai pensé que je savais déjà occuper mon temps, mais je me suis demandé par curiosité ce que faisait d’être en train de ployer.
J’ai donc suivi les annonces : «Envoyer CV» était-il indiqué. J’ai tenté ma chance, et reçus rapidement une réponse. «Cher monsieur, nous avons constaté votre fort niveau littéraire mais il n’est pas nécessaire d’avoir la fibre poétique pour ce poste de chargé de mise en rayon de charcuterie». J’avais pourtant envoyé mes plus beaux poèmes pour cette Collecte de Vers.
N’y comprenant rien, je retournais au Centre des Conseillères en Autruches Stylisées. J’ai atterri dans le même bureau. J’en suis ressorti avec un désagréable mal de tête, mais une nouvelle clé d’action sous le coude, que j’ai donc du à regret décoller du comptoir : il me fallait m’insérer.
Le souci est que je ne savais aucunement où. M’insérer ? Y avait-il un club d’insertion où les gens louaient des espaces à leur largeur ? À moins qu’il ne faille s’insérer en longueur ?
Après m’être coincé une main dans la fente d’une boîte à lettres et le pied dans une bouche d’égout, avoir été décoincé par les Pompiers Bon Œil, je décidais de retourner au Congrès Consanguin des Autruches Striées pour éclaircir l’affaire, qui n’était pas mince, sinon elle aurait pu être insérée facilement dans bon nombre d’interstices.
J’ai atterri dans le même bureau aux néons blafards, ce qui expliquait sûrement le teint d’endive molle de la conseillère. Cette fois-ci, elle prit un ton grave, presque solennel, la moquette empêchant par contre tout écho d’église : «Monsieur, c’est la crise. Beaucoup de personnes comme vous n’arrivent pas à s’insérer facilement. Au-delà des régimes minceur, je vous conseille de trouver de nouveaux plans de bataille sur le marché de l’emploi».
Je ressortis aussi déconfit qu’un magret au miel, la tempe palpitante et les mains moites. Vite, un plan de bus pour trouver ce fameux marché de l’emploi. Le métro n’y conduisait pas, aucune avenue ne portait ce nom, ni aucune place. Il me fallait peut-être avoir ce fichu plan en premier ? Je fonçais dans la première librairie que je croisais, demandant un plan de bataille.
On ne me trouva que ses œuvres complètes en 12 volumes chez Gallimard. Leur lecture me prit près d’un mois, ce qui retarda mes recherches du marché de l’emploi. Pire, je ne trouvai aucun indice au sein des écrits de Georges Bataille. Je me demandais si l’autruche et le libraire ne s’étaient pas moqués de moi. Furieux, je retournais au Contact Carnassier des Autruches Stupides, où l’on m’expliqua cette fois-ci que je n’avais sûrement pas le bon profil.
Je ressortais encore plus étourdi qu’avant, ne sachant plus s’il fallait que je me présente aux entretiens de débauche en tournant la tête comme un pigeon pour suggérer ma meilleure tranche, si je devais désormais marcher en crabe ou en crevette. On m’avait précisé surtout, de ne pas perdre pied; je ne les lâchais donc plus d’une semelle, m’assurant de les avoir à l’œil à tout instant en cas de tentative de fuite; désormais, je marchais le nez baissé, me valant quelques rencontres hasardeuses et bossues avec des réverbères.
Au bout de quelques mois, la tête comme elephant man, j’avais perdu tout espoir de trouver ce marché de l’emploi où m’insérer en long en large et en travers. Je m’assis sur un banc. Un pigeon me regarda, l’œil sur le côté, comme pour me préciser qu’il avait lui même un meilleur profil.
J’enlevais mes chaussures. Je mis mon carnet dans ma poche. Et c’est pieds nus, que je quittais enfin la ville dans l’espoir de ne plus jamais croiser d’autruches. Désormais, je me rends uniquement dans le secteur des kangourous. Les mains dans les poches.